Bordeaux Bacalan 1939 - 1945
Aux absents et aux vivants de Bacalan
C'est l'histoire d'un quartier que les élèves de 3ème du collège Blanqui à Bordeaux ont explorée, fouillée et approchée, de loin en proche, durant une année, accompagnés par Olivier Delavaux et Émilie Mercier, leurs professeurs d'histoire géographie et d'espagnol .
C'est l'histoire de leurs parents, des parents de leurs parents peut-être, l'histoire de tous ceux qui ont habité là, dans ces maisons entourées de jardinets, près du fleuve.
C'est l'histoire de notre Histoire, en un temps déraisonnable où la France était occupée par les Allemands, quand les juifs, les communistes, les homosexuels, et les tziganes étaient traqués, et parfois déportés loin des leurs dans des wagons aveugles.
Ils étaient vingt et cent, ils étaient des millions... La mémoire se souvient.
Le 29 juin 1940, les troupes allemandes entrent dans Bordeaux. Peu avant, du 17 au 19 juin, Aristides de Sousa Mendes, consul portugais à Bordeaux, délivre 30 000 visas et sauve plus de 10 000 juifs. Il ne sait pas encore qu'il sera un jour reconnu "Juste parmi les nations".
On pourrait écouter le vent dans le couloir des rues, cognant les fenêtres et les portes. Rue Achard, rue Blanqui, place Maran... Mais c'est un peu ce que les élèves ont fait : des pauses ici puis là, pour tenter de comprendre encore et toujours ce qui a eu lieu, ici et puis là.
Ainsi, ils ont ouvert des livres, compulsé des documents aux Archives municipales, départementales et nationales à Paris, au Fonds du consistoire israélite de la Grande Synagogue de Bordeaux, pris des notes, annoté des plans, lu des rapports sur les rafles des juifs, fait le compte des morts, et aussi honoré des vivants.
Ils ont écouté Boris Cyrulnik venu à leur rencontre. Il a raconté.
Le 10 janvier 1944,
21 enfants juifs sont conduits à la synagogue avant de monter dans les trains de la mort. Boris Cyrulnik a six ans et demi. Il parvient à
s'échapper avec l'aide d'une infirmière qui le cache sous le corps
d'une femme mourante dans une camionnette. Pour lui, commence alors un long parcours de cachette en cachette. Jusqu'à la fin de la guerre.
Boris
Cyrulnik ne sait pas d'abord quoi faire de cette faille profonde autour de laquelle il s'est construit. Il mettra sa vie au service des autres, de la fragilIté humaine et du mystère qu'elle constitue.
"Parler mon histoire a été difficile, cette force m' est venue très tard", dit-il. Il dit aussi que faire récit est vital pour se (re)trouver et donner sens à sa vie.
Il a posé deux pavés de mémoire devant la
maison de ses parents "assassinés dans les camps".
Les élèves ont poursuivi leurs déambulations de la mémoire de leur quartier, salué le courage et célébré la vie de Roger Allo, chaudronnier aux Chantiers du Sud-Ouest à Bacalan, et celle de Joseph Brunet, électricien à la raffinerie Saint Rémi, tous deux résistants syndicalistes communistes, fusillés au camp de Souge, le 24 octobre 1941. Combien d'autres avec eux ? Combien d'autres suivront ?
Les élèves ont continué leurs recherches, établi des liens, et, dans les archives familiales et personnelles de Moïse Schinazi, lu les lettres d' une longue correspondance entre Marie et Sabatino, vu les photographies de la famille, les ordres de spoliation du domicile et du mobilier, les documents provenant de la Préfecture de Gironde, de l'Ordre des Médecins, des archives allemandes des camps.
Ils habitaient au 199 rue Achard. Sabatino Schinazi est médecin, marié depuis une vingtaine d'années avec Marie. Dix enfants naitront de leur union. Il est arrêté par la police française le 25 juin 1942, déporté à Drancy le 25 novembre 1943, puis à Auschwitz et Dachau, avant de mourir à Kaufering durant "les marches de la mort", le 25 février 1945.
Le docteur Schinazi est encore présent à Bacalan. Il était, dit-on, le "médecin des pauvres", l'incarnation même de la bienveillance.
L'année dernière, un pavé de mémoire a été posé devant la porte de sa maison.
On marche dans le quartier, on lève la tête vers les arbres et le ciel.
Le même soleil qu'hier nous inonde, et le cœur peut saigner.
Le passé nous enseigne. Est-ce qu'on comprendra mieux le monde autour de nous ?
On aura en tout cas senti au profond de nous la nécessité absolue de défendre les valeurs humaines contre toutes les barbaries du monde, où qu'elles se trouvent. On aura appris que nous sommes tous fragiles et forts, et, je veux le croire, solidaires dans nos combats de justice et de liberté.
C'est tout le message des élèves qui nous ont accueillis à la base sous-marine, fiers de leur travail inouï traversé par l'espoir et la vie.
Des photos, des dessins, des lettres, des vidéos, et autant de témoignages d'un temps si ténébreux de notre Histoire.
Ils ont conduit les visiteurs, expliqué quand il fallait expliquer, précisé leur démarche, donné sens à leurs recherches. Ils étaient grands et beaux !
Car ces adolescents ont enrichi leur imaginaire, leurs savoirs, leur humanité. Ils ont vécu tant d'émotions, fait tant de rencontres ! On résume :
- Ils
ont rencontré Boris Cyrulnik,
- Pierre Brana, historien et ancien homme politique,
- été
reçus par Manuel Dias Vaz au Consulat du Portugal,
- participé aux archives départementales à
un atelier sur "Le camp de Mérignac",
- aux archives Bordeaux Métropole
à l'atelier "En exécution du statut des juifs",
- retourné rue Achard au
domicile du Docteur Schinazi et de Joseph Brunet,
- visité le camp de
Souges et
- participé, à la base sous-marine,
à la cérémonie en hommage aux républicains espagnols,
- enfin fait le voyage à
Paris jusqu'au Mémorial de la Shoah,
- au camp de Drancy,
- aux Invalides,
- au Mont Valérien,
- aux archives nationales,
- été reçus à l'Assemblée
Nationale et
-au Sénat.
Ce livret aujourd'hui rassemble les travaux de la classe sous la houlette de leurs deux professeurs, Émilie Mercier et Olivier Delavaux.
Le livret est complété par des documents sonores, "Par les vivants", mis en voix et accessibles par QR code.
C'est un parcours audio immersif réalisé par les élèves, toujours accompagnés par leurs deux enseignants.
Par la mise en
voix des archives, les élèves ont montré comment l'autre, notre semblable, a été rendu
exclusivement dissemblable par l'antisémitisme en idées et en actions.
Le dispositif "Par les vivants" est porté par l'association "Parmi d'autres", avec le soutien de la Licra, pour la Fondation de la mémoire de
la Shoah, et du Conseil Régional des Hauts-de- France.
Merci à ces deux enseignants magnifiques,
ainsi qu'à
Giovanny, Elen, Lina, Selma, Elyase, Enzo, Ethan, Ilian, Nancy, Maël, Kenan, Isma, Tom, Helena, Majda, Alaaeddine et Farah.