Le livre de Jean-Christophe Belleveaux "Indigo, c'est le titre" vient de paraître. Il regroupe quatre moments d'écriture : indigo, c'est le titre, puis l'apnée, les fleurs, suivi par se peut-il ? et enfin fenêtre (sans majuscule). Le recueil est un ensemble de temps inséparables aux marges poreuses qui se répondent, se complètent, et s'enrichissent, traversé d'une sorte de mélancolie douloureuse et tendre.
D'abord une photo en couleurs, avec des rouges et des bleus, surtout des bleus, un chien maigre arrêté, du temps suspendu où le ciel s'accroupit parmi les hommes.
Et
nous nous tenons au seuil du voyage, de Nevers jusqu'au fleuve, c'est peut-être le Gange, mais où est-ce vraiment ? : mouvements d'images dans nos
têtes, de corps qui se déplacent, silencieux on dirait, un lent balancement des arbres et de
femmes en sari. Alors on lit la
route qui ne finit pas, un long déroulé de nuits et de matins, un trajet "qu'on n'enfermera jamais", dans les pas de qui ?
Un chemin, des mots. Finalement, c'est presque la même chose. Des traces quelque part. Nous sommes si peu.
Belleveaux est un arpenteur
contemplatif des odeurs, des couleurs et des êtres, aux yeux ni aveugles ni sourds. Il regarde et écoute. Écouter, c'est accueillir et faire exister l'autre, je crois cela. Quand on écoute, on partage quelque chose avec quelqu'un qui s'expose.
"...moi envolé
avec les aigles le chanvre
flottant dans le cobalt
plus impassible que les fleuves"
Simon Leys écrit "Il faut dire ce que l'on voit, et, ce qui est plus difficile, il faut voir ce que l'on voit".
Si Jean-Christophe Belleveaux cherche les beautés de la vie, sous les rudesses de la vie, "la vie soyeuse / comme une panthère", il sait aussi que les mots bavent sur la page, savent pas dire, trop peu, la vieillesse qui pointe son museau et le monde tout déchiré qui vacille. "la corneille du désespoir croasse" temps vécu, temps mort disparu.
Les mots sont des horloges sans heures justes, mais pourtant inexorablement nécessaires, des outils à garder, à soigner, à aimer. Pour vivre dans la langue, nous n'avons qu'eux. On se débrouille. Avec l’éthique des princes de la poésie qui ne se vendent pas.
aux académies honnies
j'ai toujours préféré les sales trognes
j'avais deux pieds sur lesquels me tenir
je maintiens la position
...
"Dilapider les mots / Égorger la phrase"
...
Ce
sentiment que tout est là | voilé/dévoilé | suspendu | cette bulle
prête à éclater | tous les mots | coffres pleins | la brûlure des mains |
l'apnée
Comment dire ce qui a eu lieu, les grandes déchirures dans nos yeux, et nos regards à jamais sidéré ? Se peut-il ?
il n'y a pas n'y aura pas
de cohérence se peut-il
après Tuol Sleng Auschwitz Kigali
Jean-Christophe Belleveaux n'en a pas fini avec la mémoire de son grand-père qui hante sa mémoire, lui qui ne sait pas jouer du violon, et une rage le prend quand la maltraitance de la pensée / dresse sa trique maladroite et douloureuse Car la folie des hommes agit continûment. Le désastre du monde traîne dans les jambes, et on pourrait bien avoir envie d'en rester là, tout est seuil est linceul, laisser tomber, oublier la dégueulasserie ordinaire de vivre.
Tout un désespoir ramassé dans un seul vers
et un chien : qu'est-ce qu'on en fait ?
Mais non, pourtant non ! Il fait bleu, il ouvre la fenêtre, en grand, avec au bout des yeux un sac d'étonnement et d'amour, ceci dit sans mièvrerie qu'on pourrait reprocher.
Jean-Christophe Belleveaux se resserre sur ses affaires, à portée de mémoire et de main. Sur ce qui le tient, son peu à lui qui dure.
je voudrais ma fenêtre ouverte
sur le bleu qui clapote
quelques oiseaux marins du café
le désordre des cheveux le pli des draps
une rose peut-être
presque fanée
douloureusement blanche et précaire
dans le petit vase ébréché
Jean-Christophe Belleveaux Indigo, c’est le titre. Montréal : Pierre Turcotte Éditeur, Collection Magma Poésie, 2024, 81 p
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https://www.pierreturcotte.com/post/indigo-c-est-le-titre-de-jean-christophe-belleveaux