"Désirant et sidérant, si possible..." dit-elle.


"Désirant et sidérant, ...si possible !" dit-elle.

vendredi 8 septembre 2023

"Les croque-mitaines du peuple" | Marie-Noëlle Fargier


 

 "N'oubliez jamais vos origines et poursuivez la lutte."     

Cette phrase pourrait symboliser le fascinant roman de Marie-Noëlle Fargier, qui, de 1918 à 1990, retrace l'histoire déchirée de Franz et Markus. L'année de leur naissance est celle de la signature de l'armistice, de la révolution allemande, des grèves, des conseils d'ouvriers, celle aussi de l'adhésion de leurs pères Karl et Thomas au courant spartakiste crée par Rosa Luxembourg, militants tous deux contre la guerre d'abord, contre la misère et la montée de l'extrême-droite ensuite. Avec cette prescience que la paix ne durerait pas. "Les enfants des travailleurs n'ont pas la distraction de grandir" dira Karl et l'angoisse de l'avenir le rompt. Hitler est élu chancelier. Le nazisme étend sa domination sur les hommes et éteint les consciences. De fait, Karl et Thomas seront tous les deux arrêtés en 1936 comme "opposants  politiques présumés" et envoyés dans un des premiers camps de concentration. 

 "N'oubliez jamais vos origines et poursuivez la lutte."  

Ainsi, Franz et Markus, liés très tôt par l'engagement des leurs et le drame familial, ne se lâcheront plus.

 "Prends ton violon, Franz, ça calmera ton cerveau." disait sa mère. Franz s'échappe pour un moment de la barbarie, temps de rêve et de grâce retrouvée où la mémoire se tait.  On se prend avec lui à imaginer un monde libre et léger, où les frontières s effacent et où les fleuves se rencontrent, ici et puis là-bas.  

 "N'oubliez jamais vos origines et poursuivez la lutte."       

On les suit en France durant l'occupation, combattants malheureux, tissant  des liens avec la résistance française. On chemine à leurs côtés sur les routes de Dresde,  on assiste avec eux à l'édification du mur en Allemagne, à l'enfermement de la RDA, aux écoutes par la Stasi, à l'espoir qui manque et luit quand même. On pense, on souffre, on aime avec eux. Et on s'évade des meurtrissures par la littérature et la musique qui sauvent. 

Marie-Noëlle Fargier, par son écriture délicate et précise, nous raconte la grande l'Histoire des hommes de ce siècle naufragé, des décennies tragiques de luttes et de souffrances contre l'horreur des guerres et des totalitarismes mortifères. Le roman établit des correspondances entre les années et les êtres, comme pour réparer les terreurs. Des fils se tendent, de l'un à l'autre, établissant ainsi une chaîne invulnérable de courage et de fraternité.

Franz et Markus sont ses passeurs à elle, à nous. Passeurs de notes et de mots, qui enseignent la liberté et transmettent la culture, long relais de générosité et d'intelligences qui ouvrent le monde.

"Les croque-mitaines du peuple" est peut-être aussi roman d'apprentissage. Je ne peux m'empêcher d'imaginer l'ombre d'un grand oiseau rouge par-dessus nos démocraties. D'autres évoqueraient l'image d'un loup derrière un arbre, défiant nos vigilances. Marie-Noëlle Fargier n'idéalise pas l'héroïsme de ses personnages, seulement il est, il a eu lieu, et nos mémoires en ont encore besoin contre tous les pouvoirs de la terre et du ciel.   

Voilà, on s'apprête à refermer le livre qui nous a tenus de bout en bout. Nous quittons Franz et Markus, les deux frangins de la vie à la mort, généreuse et créatrice. Dans l'air, frissonnent les fleurs mauves d une glycine, un champ de coquelicots, et la plainte d'un violon, un andante de Bach peut-être que jouerait France, la fille de Frantz, sur les bords de la Loire.
"Tous disent la même chose : la beauté et la souffrance de l'être humain."  


 

"Les croque-mitaines du peuple De l'Elbe à la Loire" de Marie-Noëlle Fargier est publié aux éditions du Lys Bleu. Elle signe ici son quatrième roman.