"Désirant et sidérant, si possible..." dit-elle.


"Désirant et sidérant, ...si possible !" dit-elle.

samedi 26 octobre 2019

François Mauget, never mort



On doit se forcer pour y croire, François est mort.  
Mon ami, notre ami est mort seul, accidentellement et de façon très absurde ce mardi 22 octobre, un jour d'après pluie, dans les bois autour de sa maison.  
Le chagrin, soudainement, prend beaucoup de place, les yeux pleurent. 
Il bougonnerait un peu, mais il ne nous en voudrait pas, lui le tendre, le râleur émotif, l'espèce d'Indien de la vie.  
On aurait tout à coup bien besoin d'utopie, et dans une vision magnifique, de faire encore dialoguer le monde avec la poésie. 
Car c'est bien ce qu'il a fait durant une quarantaine d'années, François, en créant le théâtre des Tafurs, ces vagabonds des premières croisades dit-on, voire les mendiants des mots qui bousculent et remuent toute la tête.  
François était un amoureux des mots, de la poésie, de la prose poétique, de ces formes qui disent les humanités humbles, les révoltes profondes et les espérances violentes et fabuleuses. Il attendait d'être saisi.  Une façon d'  intégrité, je crois bien, née peut-être de ses origines et de ses premiers rêves d'un théâtre populaire, ouvert sur le monde et toutes ses vies dedans. 
 La poésie ne pouvait pas, pour lui, être réduite à l'étriqué du livre, il la sortait dans la rue, dans les musées, les bibliothèques, dans les collèges, les lycées et  les écoles, dans les théâtres, sur une barque à la Base sous-marine, sur les places. 
En 1999, "Demandez l'impossible" portera le Printemps des Poètes à Bordeaux. Je me souviens. Je me souviens des spectacles, de Valérie Rouzeau, Pirotte,  Thierry Metz, Salah Al Hamdani, Antoine Emaz, Max Rippon, Mohammed El Amraoui, Lionel Bourg... Tant d'autres encore, tant d'autres, que j'ai souvent filmés. 
Derrière le texte, il y avait un auteur, un être qu'il voulait connaître. Avec lequel souvent un lien amitié se tissait et durait. Il y avait une histoire humaine, et le partage d'instants complices qui resteraient.
Je me souviens aussi de mon émotion au Marché de Lerme, en 2005, quand il a mis en voix et en espace, avec le musicien Etienne Rolin, mon texte "Des ortolans et puis rien". De nos rencontres. De son idée de la spirale, de la déambulation, du mouvement.
Et ça marchait !
Il nous emmenait avec lui, François, nous embarquait serait plus juste, avec sa voix, sa fougue, ses rages, sa passion, et son amitié.
Créer faisait ciment. Ça marchait !
Puis il y eut le mystère des affiches. Un de mes textes, une photo. Tous les quinze jours, les murs de Bacalan se couvraient de poésie. On partait seau de colle et balai à la main, en deux équipes de choc. Pour finir une année plus tard en une soirée expo-poétique et lecture au Garage Moderne. 
C'était audacieux, gonflé. La poésie résistait de manière essentielle.
 

"Un théâtre de la parole", il me disait. En 2011, nous avons monté ensemble "L'avenir dure longtemps", un projet gigantesque, une aventure artistique autant qu'un chantier social, qui nous a tenus près d'une année. Il venait à la maison une ou deux fois par semaine.  J'écrivais et sa perception du metteur en scène me guidait. Nous parlions beaucoup, avancions par étape. Lui, il marchait  de long en large dans la cuisine, actionnant je ne sais quelle mécanique intérieure. Je le regardais penser.
 - Hé François, tu veux pas t'asseoir un peu ?  
 Nous avons été présents au Festival Nomade. Pour la bonne cause. La pièce a été jouée au Glob et à la  Maison Cantonale pour un spectacle à voix multiples, un truc assez dingue, quand on y pense. 
Voilà, c'était comme ça, François rendait les gens vivants. Quelquefois un peu plus heureux en découvrant l'attrait des mots, ou redressant, du loin de leur carcasse, les vieilles espérances qu’ils y avaient enfouies. 
Nos cafés me manquent, et puis son rire, sa manière d'écouter, de pas embrasser du bout des lèvres pincées, sa liberté d'être au milieu des médiocrités toujours à rôder, sa tendresse de mauvais garçon, sa part d'enfance.  Le théâtre des Tafurs me manque. Présidente des Tafurs, je trouvais que ça avait de la gueule ! 
François arpentait la langue, (les lacets toujours défaits, ça me faisait rire),  lisait beaucoup, découvrait, et d'une idée l'autre, d'un étonnement à une admiration, un désarroi peut-être, "putain que c'est fort !",  ça marchait ! 
 De là peut-être son penchant pour les terres lourdes à gravir, les bois et les ruisseaux, et tous les paysages à modeler dans le vent. 
 - Hé François, tu veux pas t'asseoir un peu, 
             un tout petit peu encore avec nous ? 


  

Mes pensées toutes particulières vont ce soir à sa compagne, à ses très proches, aux comédiens et musiciens amis, et à tous ceux qui l'ont aimé. 

Une soirée hommage aura lieu mardi 29 octobre à partir de 19h au Glob théâtre à Bordeaux.  

2 commentaires:

  1. Je n'ai appris l'impossible nouvelle que ce matin par le mail d'un vieil ami commun. Je l'ai vu l'été dernier pour des moments inoubliables de complicité et de tendresse. Il a été mon premier amour au temps du lycée où nous montâmes notre tout premier spectacle poétique. Comment ne pas aimer ce beau garçon un peu fou? Comment accepter que le mondes soit sans lui? Merci pour tes paroles qui disent avec pudeur ce qu'il était.

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  2. Unknown? Oui, pour vous tous qui l'avez connu après 1975. Jocelyne Géraud.

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