"Désirant et sidérant, si possible..." dit-elle.


"Désirant et sidérant, ...si possible !" dit-elle.

mercredi 22 décembre 2021

Les bonnets

 

 

L'année de guingois respire encore,

quelquefois s’époumone,

tient à rien,

à quelques jours qui restent,

une presque morte.

 

Elle ferme les yeux.

Ça se voit aux arbres longs, plein de laine au matin,

aux trous dans la nuit comme des agates bleues,

aux absents qui rêvent loin dans la neige du monde,

aux gerçures des lèvres,

aux bonnets des enfants.


vendredi 10 décembre 2021

Ce qui nous pense

 

 

 Des ronds d'ombre à la lampe

font semblant de fumer une cigarette.

 Mais ce n'est pas vrai. 

Ils se sont mis d'accord avec la nuit

sans rien me demander.

Si je m'échappe,

ils m'attrapent au lasso.




lundi 6 décembre 2021

Chronique d'hiver

 

 

 



"C'est l'histoire même de ta vie. 

Chaque fois que tu parviens à une croisée des chemins, ton corps s'effondre, car 

ton corps a toujours su ce que ton esprit ignorait, et, quel que soit le moyen qu'il 

emploie pour craquer, mononucléose, gastrite ou crises de panique, c'est toujours

 ton corps qui a repris à son compte le fardeau de tes peurs et de tes batailles 

internes, c'est toujours lui qui a encaissé les coups que ton esprit ne voulait ou ne

 pouvait pas supporter."

 
Paul Auster
Chronique d'hiver

jeudi 2 décembre 2021

"Choses revues dans Bordeaux ou ailleurs" par Dominique Boudou

 


 

Un nouveau recueil de Dominique Boudou "Choses revues dans Bordeaux et ailleurs" vient de paraître 

aux éditions Aux cailloux des chemins.

Ce sont des textes courts qui constituent le recueil, ou plutôt des trajets, tant Dominique Boudou nous 

embarque avec lui, d'un point à un autre point, avec des repères fixes dans un paysage de coton.  Là où

 l’œil se pose, la librairie Mollat, les quais de Garonne, les rues et toutes les places sont d'humeur

 mélancolique et parfois facétieuse. Le regard de l'auteur imbibe les lieux, pourtant très ordinaires mais

 tout à coup très singuliers. Il les laisse venir. Et devenir. Comme des ébauches oubliées sous l'atelier de

 Giacometti.

De page en page, on se balade dans le périmètre de l'auteur, suivant la ligne du tram B Berges de 

Garonne, de Bacalan au centre de Bordeaux, soit du nord-est au sud-ouest de la ville. En poussant un 

peu, il se pourrait bien que Bordeaux prenne la lumière de Porto ou de Alcalá de Henares, dessinant 

alors une géographie imaginaire où Italo Calvino et Montaigne marchent à nos côtés, où  Emma et 

Mathilde sont à la fois ici et là-bas, tout à la fois réelles et romanesques.

 Il arriverait même que les rues changent de nom comme on porte un nouvel atour qui nous modifie. 

C'est que Dominique Boudou ruse un peu avec le paysage. Pour s'arranger du réel sur lequel il trébuche

 ? Pour se raconter une histoire qui le ferait sourire, avec des personnages venus d'autres histoires, 

"on ouvre ainsi des livres, puisque les livres m'ont appris à marcher" dit-il. Dominique Boudou est un 

marcheur qui observe les choses : une voisine de transport, un oiseau, l'alignement des hangars, l'eau

 qui tremble. Car ces choses également nous modifient. Pourquoi voir cela plutôt que cela ? Pourquoi 

maintenant ? Comment elles nous impliquent ? Dans quelle vie ? Quoi faire avec les choses

L'écriture à la fois simple et ciselée de Dominique Boudou est ainsi faite qu'elle nous remue.  Au fil du

recueil, le lecteur entre peu à peu en résonance avec ce qui chemine sous les mots : le paysage est un 

ensemble plein et vivant, un corps à corps. Et la pensée, en mouvement flottant, traîne ses guêtres, au 

gré des vents et des oiseaux.

Dominique Boudou signe, avec "Choses revues dans Bordeaux et ailleurs", un de ses plus beaux 

recueils. 

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Extraits

Quand l’esprit s’égare, le corps doit reprendre la main. Le flou des songes peut mener à une dissipation de soi impossible à rassembler. La marche, portée par les mélancolies, creuse des trous sans appui. Je rappelle à moi les plaintes de mes pieds, la raideur de mes jambes, les sifflements sournois de ma fatigue. La ville ne sombrera pas tout à fait, ni dans le passé ni dans le futur. L’illusion du présent la tient debout avec l’écriture.

  

Je prends le tram à l’arrêt New York devant le bureau de tabac. Des fragments de visages et des fragments de murs vont et viennent sur les vitres, traversés par la coulée grise des voitures. Mon regard n’en rassemble pas les contours. Le flou suspend ma présence. Je pourrais disparaître si j’allais jusqu’au terminus. Un reliquat de substance molle entre deux jointures de pierre, bientôt chassé par la lance des nettoyeurs. Mais je descendrai place Gambetta et j’irai voir les livres chez Mollat. Mon corps de papier existe mieux quand je les touche.

 

La ville est un long dépliant que j’étire parfois jusqu’au terminus de la ligne B. Mon corps la perçoit comme une bande de papier dont les marques s’effacent. Les noms des rues et des places me parlent en russe, en espagnol, en portugais

Comment savoir si la vie se trouve plutôt ici que là ?  

 L’instant va si vite. A-t-il vraiment eu lieu ? L’image ne sera pas retenue comme elle a surgi. La mémoire en retouchera les lignes de fuite. Les contours du chien et les aplats du soleil sur l’herbe couchée manqueront de vérité. Le réel est toujours un corps improbable. Presque liquide.

Laisser venir à soi le paysage comme Giacometti laissait venir à lui les ébauches oubliées sous l’établi. Ne fixer le regard sur aucun détail. Maintenir à distance les bruits parasitaires. Mon corps plus léger accueillerait lentement l’autre rive.

 Le passant hésite au bord de la place. Ses gestes ne tiendraient pas la traversée sous la lumière verticale. Le tram qui remonte en chuintant les allées d’Amour le rassure. Il regarde les voyageurs descendre et courir vers la ligne C. Des jambes, des bras, des dos, bien réels dans le réel. Des mèches brunes et blondes papillonnent à nu sur des épaules. C’est la beauté simple des corps. Celle qui inspire depuis toujours les visions folles.