Dominique Boudou est un être à part, un poète à part. Il ne disloque pas la vie,
jamais. Il la protège, il la soigne, il l'embellit. Sans doute sait-il depuis longtemps combien les remuements de l'existence marchent à côté de sa propre fragilité, main dans la main. Un héritage venu avec la naissance, une sorte de mémoire originelle dans ses bagages.
De ses années d'enfance, Dominique Boudou aura retenu la diversité des paysages de Charente, et la difficulté à devenir. Sur son vélo, je le vois pédaler, grimper le pan d'un coteau, puis se laisser glisser comme un oiseau qui ne sait pas voler. Toute une géographie à se mettre dans les pattes et les yeux. Une terre de lecture, pas moins. Alors il se ligue avec les mots. Une manière de protection. De trouver abri.
Mais peut-être après tout s'ennuie-t-il, perdu dans le relief des bocages, trop plein de pluie et de lumière. A cela, Bachelard pourrait renchérir : "Le plus grand bonheur de la province, cet ennui profond, irrémédiable, qui, par sa violence, dégage en nous la rêverie." La rêverie est parfois une violence, comme une force vitale pour tenir tête au réel et être féconde. Et si Dominique Boudou ne trouve pas vraiment, pas encore, le chemin de sa mémoire, il s'invente une généalogie toute brouillée. Pour égarer / dénicher la sienne. Naître encore.
"Qu'est-ce qui
arrive après le coteau et le moulin ?" Après ? Il ne sait pas, sauf que
les histoires ne finissent jamais. Peu à peu, le paysage devient terre d'écriture.
Et c'est l'enfant courant et courant encore / Après ce qui lui manque
Des années ont passé avec des grumeaux / Dans le goulot du sablier
Il a des étranglements / Des hoquets
Mais je résiste avec les mots / Qui acceptent ma présence /
Enfant déjà ils me désignaient / Le feu tapi sous les tourbes / Les ombres des hangars
Et celles des buffets / Ils précisaient la silhouette du chien / Aperçu dans les combes
Éclairaient entre les nuages / La liberté des oiseaux
Il écrit. Il affute les perceptions qui lui tombent dans les yeux, dans le corps et la tête. Sa poésie parle des petites joies et du tragique de l'existence, cette douleur humaine qui creuse nos vies. Comment être sûr
Il
écrit. Poésie, roman, essai. Son écriture trouve peu à peu un chemin qui tient en équilibre sur ses jambes. Il trace ses propres traces. De Venise à
Prague en passant par Porto ou seulement déambulant dans les rues de son quartier, il voyage dans les villes et bourlingue dans les mots, les triture et les transforme
en une sorte d'émulsion sensible. Comme dans les révélateurs
photographiques, il les fait parler, plus loin, toujours plus loin qu'eux-mêmes. Son écriture est ainsi faite qu'elle nous remue. Ensemble plein et vivant, corps à corps. Car il y a toujours suffisamment de ténuité, de flottement et de fragilité de la perception qui construisent le poème, se tourmentent, se serrent, tombent et relèvent la tête. Mille fois, l'enfance vacille.
Écrire, ce qu'il aura trouvé de mieux pour mettre un peu de sens dans le chaos, dedans/
dehors, un peu d'immortalité sur nos précarités. L'art sert aussi à ça, à résister à ce monde si imparfait. La poésie est sa meilleure amie.
Écrire écrire / Gommer gommer
S’échiner le corps / Mélanger sa sueur à celle des mots
Et ça bricole toute la vie qu’on s’écrit
Pour son recueil Battre le corps, dans un billet sur mon blog, je parlais de son "écriture d'écrin". Car dedans, tout profond dedans, au cœur des mots, du chagrin même des
mots parfois, qui tient en si peu et qui tient tout, toujours cette intelligence
sensible cardiaque, une perception du monde revenue à l'essentiel, qui
dit l'oiseau fragile, fragile ! et le corps blotti.
Une adresse d'amour, arpenteur quoi qu'il en soit, quoi que le temps
nous laisse et reste, quoi que les heures battent de rire aux larmes
pour rien, dans l'ignorance du chemin où on arrive. Une correspondance
entre nous, en tout état de cause.
"Tu lui parles de l'oiseau / Et c'est lui qui sourit sur son visage / Un oiseau menu dit-elle
De l'autre côté de la vitre / Et ses yeux mêmes ont des soupirs / Et tu réponds que non
L'oiseau n'est pas menu / Il est léger"
La langue poétique n'est pas morte, Dominique Boudou lui offre encore et encore sa vraie vitalité en partageant ses amours d'écriture sur son blog où "la bibliothèque" déborde d’œuvres, titres et couvertures, extraits...
C'est
si rare, le partage ! Car on veut bien se pencher sur ce que le copain
écrit, mais c'est toujours d'abord sa pomme qui compte. Le constat est sans appel.
Bref !
Les mots parlent / Même quand ils se taisent
Il faut savoir les écouter / Les écouter tous ensemble
Comme les gouttes d’eau et / Les grains du sable
Sans cesse unis puis désunis / Dans le mouvement perpétuel du vivant
Il faut lire Dominique Boudou, et aller sur son blog, en ouvrir la porte, y trouver des auteurs, des poètes, des textes, des recueils, et beaucoup de fraternité, ce qui fait de nous des êtres vivants dans le monde, en ces temps si déchirés.
https://dominique-boudou.blogspot.com/
Les textes en bleu sont tirés de "Ses mains marmottaient encore", un recueil inédit de Dominique Boudou.
Bibliographie
Un grand silence (1995, Le Bord De L'eau, prix Charles-Brisset décerné par l'Association Française de Psychiatrie)
Les boîtes noires (1999, Gallimard)
Fragments pour une dormeuse (2001, Opales)
L'école et la danse des ours (2004, Le Bord De L'eau)
Quand ta mère te tue (2007, Pleine Page)
Pas perdus dans les rues vides / traduction de Raúl Nieto de la Torre (2008, Pleine Page )
Battre le corps (2013, Le nouvel athanor)
Poète de la face nord (2015, Recours au poème)
Dans la durée des oiseaux (2016, Cygne)
Le long des embrasures (2018, Cygne)
Vos voix sur mon chemin, sur des images de Virginie Vandernotte (2018, Double vue éd., Voleur de feu)
Choses revues dans Bordeaux et ailleurs (2021, Aux cailloux des chemins, prix Georges-Bonnet),
Mis pasos son mis versos / Mes pas sont mes vers ( 2023, Tarmac)
A paraître en septembre 2025 "Les arbres écrivent aussi", sur des photos de Cédric Merland (La 21 e saison)
"Ses mains marmottaient encore" (inédit)
"Le promeneur se réfugie sous l'arbre et s'apaise. C'est un lieu sûr même pour douter. Et si l'univers était vraiment une vieille chaussette ? Un frémissement traverse le feuillage, dessine une échancrure. Un autre récit pourrait se déplier. Avec l'assentiment du petit peuple des écorces. Il ferait cercle autour du promeneur et prêterait sa voix. Mais le conte serait bancal. Rien n'existe sans ce qui trébuche." "Les arbres écrivent aussi"
Quelques livres
