"Désirant et sidérant, si possible..." dit-elle.


"Désirant et sidérant, ...si possible !" dit-elle.

dimanche 16 novembre 2025

Zone libre conscience floue

 


 

Ce n'est pas que le regard soit verrouillé par le soleil dans la rue,
zone libre conscience floue, les gens courent leurs affaires.  
Le jour est tombé par effraction d'un bloc,
les yeux ont coulissé sur la lumière, glissé sur l'évidence de la lumière,
et l'envie de bleu pur ripe aux bateaux des trottoirs,
s'affale mon cœur sur le goudron noir.

samedi 15 novembre 2025

Toujours le vent

 


"Je sais si peu,
ruiné comme un berger
que trois chiens blancs surveillent
quand la nuit se laisse
agrandir les yeux."

 

 "Toujours le vent visite les bannières" | Vandenschrick | Cheyne 
 
 
  
                                                          

vendredi 12 septembre 2025

Mouvements


 


 Mouvements de la main
tendue, 
devant soi contre la peur
ou une alerte.

Mouvements du jour,
ses soupirs,
étirés rompus sur les épaules,
parfois ils pèsent.

Mouvements de la lumière
sans rechigner,
les gondoles du ciel
au quatre coins,

autour des fissures 
des murs et des mots, 
un noir et leur pelure

Mouvements de la pensée 
informe, qui saute mouton,
rejaillit d'elle-même,
et même.

Mouvements du regard
qui veut dire,
dans le jardin cherche un banc
qui veut 
puis abandonne.

Je note : te retrouver  (mais où ?)
               quand je (me) perds.

jeudi 22 mai 2025

Dominique Boudou, poète et lecteur, passeur d'écriture




                                            
 


Dominique Boudou est un être à part, un poète à part. Il ne disloque pas la vie, jamais. Il la protège, il la soigne, il l'embellit. Sans doute sait-il depuis longtemps combien les remuements de l'existence marchent à côté de sa propre fragilité, main dans la main. Un héritage venu avec la naissance, une sorte de mémoire originelle dans ses bagages. 

De ses années d'enfance, Dominique Boudou aura retenu la diversité des paysages de Charente, et la difficulté à devenir. Sur son vélo, je le vois pédaler, grimper le pan d'un coteau, puis se laisser glisser comme un oiseau qui ne sait pas voler. Toute une géographie à se mettre dans les pattes et les yeux.  Une terre de lecture, pas moins. Alors il se ligue avec les mots. Une manière de protection. De trouver abri. 

Mais peut-être après tout s'ennuie-t-il, perdu dans le relief des bocages, trop plein de pluie et de lumière. A cela, Bachelard pourrait renchérir : "Le plus grand bonheur de la province, cet ennui profond, irrémédiable, qui, par sa violence, dégage en nous la rêverie."   La rêverie est parfois une violence, comme une force vitale pour tenir tête au réel et être féconde. Et si Dominique Boudou ne trouve pas vraiment, pas encore, le chemin de sa mémoire, il s'invente une généalogie toute brouillée. Pour égarer / dénicher la sienne.  Naître encore.

"Qu'est-ce qui arrive après le coteau et le moulin ?"                                                                                                    Après ? Il ne sait pas, sauf que les histoires ne finissent jamais.                                                                              Peu à peu, le paysage devient terre d'écriture. 

Et c'est l'enfant courant et courant encore / Après ce qui lui manque 

Des années ont passé avec des grumeaux / Dans le goulot du sablier

Il a des étranglements / Des hoquets

Mais je résiste avec les mots / Qui acceptent ma présence / 

Enfant déjà ils me désignaient / Le feu tapi sous les tourbes / Les ombres des hangars

Et celles des buffets / Ils précisaient la silhouette du chien / Aperçu dans les combes

Éclairaient entre les nuages / La liberté des oiseaux

Il écrit. Il affute les perceptions qui lui tombent dans les yeux, dans le corps et la tête. Sa poésie parle des petites joies et du tragique de l'existence, cette douleur humaine qui creuse nos vies. Comment être sûr           

Il écrit. Poésie, roman, essai. Son écriture trouve peu à peu un chemin qui tient en équilibre sur ses jambes. Il trace ses propres traces.                                                                                                                                            De Venise à Prague en passant par Porto ou seulement déambulant dans les rues de son quartier, il voyage dans les villes et bourlingue dans les mots, les triture et les transforme en une sorte d'émulsion sensible. Comme dans les révélateurs photographiques, il les fait parler, plus loin, toujours plus loin qu'eux-mêmes. Son écriture est ainsi faite qu'elle nous remue. Ensemble plein et vivant, corps à corps. Car il y a toujours suffisamment de ténuité, de flottement et de fragilité de la perception qui construisent le poème, se tourmentent, se serrent, tombent et relèvent la tête. Mille fois, l'enfance vacille.                                             

Écrire, ce qu'il aura trouvé de mieux pour mettre un peu de sens dans le chaos, dedans/



dehors, un peu d'immortalité sur nos précarités. L'art sert aussi à ça, à résister à ce monde si imparfait. La poésie est sa meilleure amie.

Écrire écrire / Gommer gommer 

S’échiner le corps / Mélanger sa sueur à celle des mots

Et ça bricole toute la vie qu’on s’écrit

Pour son recueil Battre le corps, dans un billet sur mon blog, je parlais de son "écriture d'écrin". Car dedans, tout profond dedans, au cœur des mots, du chagrin même des mots parfois, qui tient en si peu et qui tient tout, toujours cette intelligence sensible cardiaque, une perception du monde revenue à l'essentiel, qui dit l'oiseau fragile, fragile ! et le corps blotti.
Une adresse d'amour, arpenteur quoi qu'il en soit, quoi que le temps nous laisse et reste, quoi que les heures battent de rire aux larmes pour rien, dans l'ignorance du chemin où on arrive. Une correspondance entre nous, en tout état de cause.

"Tu lui parles de l'oiseau  / Et c'est lui qui sourit sur son visage / Un oiseau menu dit-elle
De l'autre côté de la vitre / Et ses yeux mêmes ont des soupirs / Et tu réponds que non
L'oiseau n'est pas menu / Il est léger"

Et puis, et puis...  Dominique Boudou lit les autres.                                                                  Il s'intéresse aux autres, à ses autres.                                                                                       Il sent ce qui se trame derrière les mots, entre les signes, en tension sous les lignes.  "L'encre est une noirceur d'où jaillit la lumière",  Victor Hugo disait ça, et Dominique Boudou la fait jaillir dans les textes des autres, tout aussi bien. En sincérité, il porte d'autres voix quand elles l'atteignent et le touchent, sans contrepartie, sans appartenance à aucune chapelle.                                          

La langue poétique n'est pas morte, Dominique Boudou lui offre encore et encore sa vraie vitalité en partageant ses amours d'écriture sur son blog où "la bibliothèque"  déborde d’œuvres, titres et couvertures, extraits... 

C'est si rare, le partage ! Car on veut bien se pencher sur ce que le copain écrit, mais c'est toujours d'abord sa pomme qui compte. Le constat est sans appel. Bref !

 Les mots parlent / Même quand ils se taisent

Il faut savoir les écouter / Les écouter tous ensemble

Comme les gouttes d’eau et / Les grains du sable

Sans cesse unis puis désunis / Dans le mouvement perpétuel du vivant

 

Il faut lire Dominique Boudou, et aller sur son blog, en ouvrir la porte, y trouver des auteurs, des poètes, des textes, des recueils, et beaucoup de fraternité, ce qui fait de nous des êtres vivants dans le monde, en ces temps si déchirés.

   https://dominique-boudou.blogspot.com/

 

Les textes en bleu sont tirés de "Ses mains marmottaient encore", un recueil inédit de Dominique Boudou.

 

Bibliographie

Un grand silence (1995, Le Bord De L'eau, prix Charles-Brisset décerné par l'Association Française de Psychiatrie)

Les boîtes noires (1999, Gallimard)

Fragments pour une dormeuse (2001, Opales)

L'école et la danse des ours (2004, Le Bord De L'eau)

Quand ta mère te tue (2007, Pleine Page)

Pas perdus dans les rues vides / traduction de Raúl Nieto de la Torre (2008, Pleine Page )

Battre le corps (2013, Le nouvel athanor)

Poète de la face nord (2015, Recours au poème)

Dans la durée des oiseaux (2016, Cygne)

Le long des embrasures (2018, Cygne)

Vos voix sur mon chemin, sur des images de Virginie Vandernotte (2018, Double vue éd., Voleur de feu)

Choses revues dans Bordeaux et ailleurs (2021,  Aux cailloux des chemins, prix Georges-Bonnet), 

Mis pasos son mis versos / Mes pas sont mes vers ( 2023,  Tarmac) 

 

A paraître en septembre 2025 "Les arbres écrivent aussi", sur des photos de Cédric Merland (La 21 e saison)

 "Ses mains marmottaient encore"  (inédit) 



"Le promeneur se réfugie sous l'arbre et s'apaise. C'est un lieu sûr même pour douter. Et si l'univers était vraiment une vieille chaussette ? Un frémissement traverse le feuillage, dessine une échancrure. Un autre récit pourrait se déplier. Avec l'assentiment du petit peuple des écorces. Il ferait cercle autour du promeneur et prêterait sa voix. Mais le conte serait bancal. Rien n'existe sans ce qui trébuche."                                                                                                                   
"Les arbres écrivent aussi"

 

Quelques livres

     

     

 


    



         


jeudi 27 mars 2025

Un dessin de Pierre Rosin

 

 Merci merci à l'ami Pierre Rosin de me faire cadeau de cette image

réalisée d'après un texte de mon recueil Toutes les nuits sont pleines 

de lunes. A garder dans les yeux et le cœur !

 

 

 

 


samedi 23 novembre 2024

Jean-Claude Chevrier est parti

  

Tu es mort ce 17 novembre 2024, le jour de mon anniversaire, comme un dernier clin d’œil par-dessus mon épaule. Nous nous étions trouvés frère et sœur de cœur, il y a longtemps. Et j'ai souvent remercié la vie pour nous avoir faits nous rencontrer. 

Aujourd'hui, je te remercie, toi, d'avoir embelli ma vie. 

Avec ton intelligence, ta générosité, ton amour des langues,                ton humour, ta culture, ta judéité et son histoire,                                et puis tes histoires, tes chansons, tes poèmes, tes dessins...  Combien en ai-je reçus ? Faudrait les compter et je n'en ai pas envie. Ils sont tous  là.                                                                                 

Tu suivais un fil, le tien, et une histoire prenait forme, D'un seul coup, j'étais la fille au ballon bleu qui rencontrait Godart et puis Duras, les situations étaient drôles, tu m'emmenais dans tes voyages  Et tu te moquais des travers du monde.

Et puis il y eu tes années théâtre. Qui t'ont tenu tout entier. C'était chouette ! Les "Fragments pour une dormeuse" de Dominique ont pris corps dans ta voix. Tu embarquais nos amis Claude Bellan et de Herta Lebk, qui eux-mêmes nous conviaient au miracle de la couleur et nous parlions parlions parlions autour de leurs toiles et d'un repas à Pugnac sur Garonne, Il faisait alors forcément beau. 

Tu es l'homme, le seul que je connaisse, qui mangeait des citrons crus. Pour la voix et le trac, avant une première. Il n'y a jamais eu que des premières d'ailleurs, car chaque fois tu te rendais malade avant d'entrer en scène. 

Tu aimais les fringues, u en achetais et tu les donnais souvent, tu  aimais les trucs qui servent à rien,   tu aimais fumer, et lire, tu te foutais bien des convenances et de l'administratif,                            tu marchais beaucoup, tu aimais les bars en terrasse, tu aimais la ville et ses néons,                                                                                et puis tu aimais tes amis, tu en prenais soin, et tes amis t'aimaient. 

Nous t'avons tous applaudi vendredi, quand ton cercueil a doucement roulé sur ses rails avant de disparaître... On t'a tous applaudi, comme on aurait salué un artiste quand il quitte la scène.  Anne a crié ses youyous aigus et modulés qui ont déchiré le clapot de nos mains. 

Tu es parti, mon frère, et ta sœur est triste.  

Après, Dominique et moi, nous avons pleuré en silence.

 

vendredi 11 octobre 2024

Indigo, c'est le titre | Jean-Christophe Belleveaux

  




Le livre de Jean-Christophe Belleveaux "Indigo, c'est le titre" vient de paraître.  Il regroupe quatre moments d'écriture : indigo, c'est le titre, puis l'apnée, les fleurs, suivi par se peut-il ? et enfin fenêtre (sans majuscule). Le recueil est un ensemble de temps inséparables aux marges poreuses qui se répondent, se complètent, et s'enrichissent, traversé d'une sorte de mélancolie douloureuse et tendre.   

D'abord  une photo en couleurs, avec des rouges et des bleus, surtout des bleus, un chien maigre arrêté, du temps suspendu où le ciel s'accroupit parmi les hommes. 

Et nous nous tenons au seuil du voyage, de Nevers jusqu'au fleuve, c'est peut-être le Gange, mais où est-ce vraiment ? : mouvements d'images dans nos têtes, de corps qui se déplacent, silencieux on dirait, un lent balancement des arbres et de femmes en sari. Alors on lit la route qui ne finit pas, un long déroulé de nuits et de matins, un trajet "qu'on n'enfermera jamais", dans les pas de qui ?

Un chemin, des mots. Finalement, c'est presque la même chose. Des traces quelque part. Nous sommes si peu. 

Belleveaux est un arpenteur contemplatif des odeurs, des couleurs et des êtres, aux yeux ni aveugles ni sourds. Il regarde et écoute. Écouter, c'est accueillir et faire exister l'autre, je crois cela. Quand on écoute, on partage quelque chose avec quelqu'un qui s'expose.

"...moi envolé
avec les aigles le chanvre
flottant dans le cobalt
plus impassible que les fleuves"

Simon Leys écrit "Il faut dire ce que l'on voit, et, ce qui est plus difficile, il faut voir ce que l'on voit". 

Si Jean-Christophe Belleveaux cherche les beautés de la vie, sous les rudesses de la vie,   "la vie soyeuse / comme une panthère", il sait aussi que les mots bavent sur la page, savent pas dire, trop peu, la vieillesse qui pointe son museau et le monde tout déchiré qui vacille. "la corneille du désespoir croasse"  temps vécu, temps mort disparu.

 Les mots sont des horloges sans heures justes, mais pourtant inexorablement nécessaires, des outils à garder, à soigner, à aimer. Pour vivre dans la langue, nous n'avons qu'eux. On se débrouille. Avec l’éthique des princes de la poésie qui ne se vendent pas. 

aux académies honnies

j'ai toujours préféré les sales trognes

j'avais deux pieds sur lesquels me tenir

je maintiens la position

...

 "Dilapider les mots / Égorger la phrase"

...

Ce sentiment que tout est là | voilé/dévoilé | suspendu | cette bulle prête à éclater | tous les mots | coffres pleins | la brûlure des mains | l'apnée

Comment dire ce qui a eu lieu, les grandes déchirures dans nos yeux, et nos regards à jamais sidéré ? Se peut-il ?

il n'y a pas n'y aura pas 

de cohérence se peut-il 

après Tuol Sleng Auschwitz Kigali

 Jean-Christophe Belleveaux  n'en a pas fini avec la mémoire de son grand-père qui hante sa mémoire, lui qui ne sait pas jouer du violon, et une rage le prend   quand la maltraitance de la pensée / dresse sa trique maladroite et douloureuse  Car la folie des hommes agit continûment. Le désastre du monde traîne dans les jambes, et on pourrait bien avoir envie d'en rester là, tout est seuil est linceul, laisser tomber, oublier la dégueulasserie ordinaire de vivre. 

Tout un désespoir ramassé dans un seul vers

                                            et un chien : qu'est-ce qu'on en fait ?

Mais non, pourtant non ! Il fait bleu, il ouvre la fenêtre, en grand, avec au bout des yeux un sac d'étonnement et d'amour, ceci dit sans mièvrerie qu'on pourrait reprocher. 

Jean-Christophe Belleveaux se resserre sur ses affaires, à portée de mémoire et de main. Sur ce qui le tient, son peu à lui qui dure. 

je voudrais ma fenêtre ouverte

sur le bleu qui clapote

quelques oiseaux marins du café

le désordre des cheveux le pli des draps

une rose peut-être

presque fanée

douloureusement blanche et précaire

dans le petit vase ébréché


Jean-Christophe Belleveaux Indigo, c’est le titre. Montréal : Pierre Turcotte Éditeur, Collection Magma Poésie, 2024, 81 p

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https://www.pierreturcotte.com/post/indigo-c-est-le-titre-de-jean-christophe-belleveaux